Ce matin d'hiver,j'ai compris qu'il se passait quelque chose d'anormal. Alors qu'il ne m'avait jamais fait d'infidélités,ce matin il n'était plus là...Parti, me laissant sur le coin de sa table de chevet. Jamais en quinze années de vie commune cela ne lui était arrivé. Quelques 36 heures plus tard, je m'arrêtais, à bout de souffle, les ressorts courbatus. Pour moi venait de commencer une hibernation forcée de près de trois mois. C'est que Michel était parti " la guerre en Algérie avais je cru comprendre ?" et dans la précipitation du départ il m'avait oublié. Un matin, sa maman vint me prendre et m'enferma soigneusement dans un petit carton. Je fis un voyage épouvantable, bourlinguée, secouée de tous bords pour enfin me retrouver dans un pays que je ne connaissais pas. Je venais de rejoindre Michel dans sa caserne à Alger.
Ah!! quel bonheur de retrouver ceux que l'on aime.
Le jour même de mon arrivée, après avoir tourné mon remontoir Michel me ramena à la vie. Mais les jours qui suivirent ne furent pas de tout repos. Tout d'abord, je fis connaissance avec l'un de nos pires ennemis à nous,le sable, bien que mon chevalier servant y prenait garde, à plusieurs reprises, je crus bien ma dernière heure arrivée. Ces malheureuses particules sédimentaires s'infiltrent partout et une seule suffit à nous faire passer de vie à trépas. Le rythme de vie avait changé,je ne quittais plus son bras, il nous arrivait souvent de partir en pleine nuit pour je ne sais quelle marche à travers l'oued.
J'ai le souvenir de la plus belle peur de ma vie lors de l'unes de ces escapades. Il devait être une heure du matin alors que nous étions couchés à même le sable, en planque derrière un buisson, deux grenades explosèrent à quelques pas de nous. Aussitôt, mon tic tac habituellement discret devint assourdissant tel une volée de cloches un jour de Pâques. Pour la première fois j'ai entendu les battements de coeur de Michel, sourds et saccadés. Nous ne faisions qu'un. Puis voila que ce fut le fusil mitrailleur de Michel qui se mit en action, et là ce fut l'enfer , les vibrations étaient telles qu'un instant j'ai cru m'être arrêtée. J'ai eu l'impression que l'on m'arrachait les rouages. Fort heureusement nous nous sortîmes du guet-apens, mais il y eut de nombreux autres accrochages et la vie a été très cruelle durant ces deux longues années jusqu'à la fin de ce conflit.
La fin de cette guerre fut prétexte à de joyeuses libations, et je dois avouer que les doux mouvements ondulatoires émis par Michel pour faire fondre les glaçons dans le whisky, m'ont bien changé du fusil mitrailleur. La vie à Algler reprenait petit à petit son cours normal et Michel avait décidé de rester y travailler. Avec son ami Jacques il sortait fréquemment le soir. Ainsi il me revient en mémoire une de ces folles soirées...
Nous nous sommes d'abord retrouvés dans d'immenses salons dominant la baie, il y avait là toute la gentry européenne d'Alger, les dames étaient en robes de soirées et les messieurs en habits. Je pense toutefois pouvoir dire que j'étais des plus en vue au bras de Michel. Lorsque je vous aurais dit que j'ai vu des collègues en bracelet plastique (la mode ?) , des cadrans ornés de fausses pierres , pire certaines ne fredonnaient plus notre merveilleux tic-tac mais ne faisait que bredouiller un bruit irrégulier et de mauvais goût. J'ai même aperçu, ce soir là, la première folle à avoir quitter ses aiguilles pour afficher tel un prix à l'étal d'un boucher, des chiffres lumineux, le quartz parait-il? Cela fait très hall de gare...
Nous changeâmes vite de secteur, Michel n'appréciait guère ce type de réception et nous visitâmes plusieurs endroits à la mode ou se mélangeaient musiques orientales et swings du moment. Dans tout ce vacarme, je n'entendais même plus mes battements et je sentais bien que plus nous avancions dans la soirée,plus Michel me brassait, me secouait. Il est vrai que ce soir la j'ai vu défiler nombre de verres de whisky, certains ayant même éclaboussés mon bracelet. Puis soudain je me sentis partir comme dans une galipette sans fin,pour terminer par un choc effroyable. Nous venions de dévaller un escalier, je me retrouvais le cadran brisé, les aiguilles à l'air,heureusement pour moi ma merveilleuse mécanique fonctionnait toujours. Le lendemain michel me laissait entre les mains d'un horloger,c'est notre médecin à nous. Quant à Michel ce matin là, il ne pouvait plus me regarder droit dans les aiguilles, les restes de la fête n'étant pas dissipés.
Ah!! il faut que je vous raconte une aventure amoureuse qui a failli mal se terminer pour moi. cela se passait un soir d'été, alors que nous étions allés passer quelques jours sur la côte d'azur. Michel avait rencontré une jeune beauté, aprés un merveilleux dîner alors que nous étions à la terrasse d'un café, la jeune femme de ses mains fluettes venait sans cesse me caresser le cadran tout en échangeant des regards langoureux à Michel. Lorsque subitement me désignant du doigt les propos de la jeune femme me firent sursauter: " Mon chéri, pour ton anniversaire demain,je t'emmène chez le bijoutier pour t'en offrir une nouvelle" Je n'avais jamais entendu pareille infamie ... me remplacer moi, par l'unes de ces nouvelles "breloques" sans aiguilles et qui fonctionnent avec des piles!! Fort heureusement il n'y eut pas de lendemain, manifestement cette "allumeuse" n'avait pas réussi à séduire Michel. Mais son souvenir me fait encore trembler les aiguilles.
Un matin une lettre arriva de France, c'était le frère de Michel qui l'invitait pour la Communion de son filleul. Ravi de l'invitation, Michel en profita pour aller passer quelques jours en France. Nous partîmes d'Alger par avion, un vieux Breguet deux ponts, après deux heures de vol, nous arrivâmes à Nantes. Dans le hall de l'aéroport Michel salua son frère, puis il embrassa un jeune homme qui devait avoir dans les seize ans. L'âge ou nous étions connus Michel et moi. Les retrouvailles ainsi faites, je compris que le jeune homme qui se prénommait Yves n'était autre que le filleul et neveu de Michel. Le lendemain matin, quelle ne fut pas ma surprise lorsque Michel accompagné du jeune homme m'emmena chez le bijoutier d'où j'étais partie vingt ans plus tôt...
( A suivre )